Sacha Guitry, c’est cinq femmes et un homme. La première, Charlotte Lysès, sera l’initiatrice : elle le pousse à travailler, à persévérer dans l’écriture. La seconde, Yvonne Printemps, a une voix d’or et très mauvais caractère, mais c’est avec elle qu’il connaîtra le succès. Il la quittera pour Jacqueline Delubac, une beauté classée par le magazine Life comme l’une des cinq femmes les plus élégantes du monde. Plus de vingt-ans le sépare de sa quatrième épouse Geneviève de Séréville, qui sera la seule à porter son nom. Il choisira la dernière, Lana Marconi, comme un bel objet, et lui fera dire dans Le Diable Boiteux, le film qu’il consacre à Talleyrand, cette réplique savoureuse attribuée à Joséphine de Beauharnais : « Je suis d’Inde ». Et puis et surtout, l’homme de sa vie, Lucien, le père aimé, adoré, adulé. Alexandre Georges Pierre Guitry nait en 1886 à Saint Petersbourg et ce sont ses nounous qui le surnomment Sacha. Son père est un acteur célèbre qui joue devant le tsar. Très jeune, il rencontre les personnalités de son époque. Il écrit sa première pièce à 17 ans, elle sera jouée plus de 30 fois au Théâtre des Mathurins.
Une voix ensorcelante
Mais la marque Guitry, c’est avant tout une voix fascinante, inoubliable, envoûtante avec laquelle il charme, caresse, raconte, ensorcèle. Et puis il y a cet humour si particulier, raffiné, intelligent et qui fait mouche. C’est le spécialiste des traits d’esprit aiguisés comme une épée. Aux historiens furieux qui lui font remarquer que son film Napoléon est truffé d’inexactitudes, il rétorque : « Je ne me soucie pas de ça. Ce qui m’inquiète, c’est que le deux cent vingtième hussard autrichien du seizième rang a des boutons d’uniforme sur lesquels on peut lire : « SNCF ». Sa façon de se moquer de ses contemporains est tout simplement désopilante.
Et puis il y a les films, Si Versailles m’était conté, La Poison, le Roman d’un Tricheur, etc., qui permettent de passer en revue une grande partie des acteurs de l’époque : Michel Simon, Fernandel, Marguerite Moreno, Louis de Funès, Andrex, Gaby Morlay, Jean-Louis Barrault, Bourvil, Charles Vanel, et tant d’autres « qu’il serait impossible de tous les citer ici ». Une mention spéciale à Pauline Carton qui a su donner ses lettres de noblesse à celle que l’ont nommait autrefois la bignole ou la pipelette, désormais remplacée par des digicodes froids et anonymes.
Réconciliation paternelle
Une enfance et une adolescence divertissante forgeront son caractère. Sacha Guitry passe l’été dans la propriété de son père, le château de Breuil proche de Honfleur, en compagnie de Jules Renard, Tristan Bernard, Jules Capus, mais aussi Georges Feydeau et Alphonse Allais. Chacun vaque à ses occupations et tout le monde s’amuse énormément. Dans Si j’ai bonne mémoire en 1934, Sacha raconte : « Le Breuil (…), c’était surtout la grande pièce du bas, qui s’ouvrait sur le parc, avec, au fond la mer. Dans cette pièce (…), Capus lisait une acte, Tristan faisait des mots, Renard en préparait, Allais disait n’importe quoi – n’importe quoi d’Allais, c’était toujours très bien ». C’est dans ces lieux et auprès de son père que lui vient l’amour du théâtre.
En 1905 se produit un évènement qui va l’obliger à quitter le cocon familial. Sacha est acteur dans une pièce qui se joue au Théâtre de la Renaissance dirigé par Lucien Guitry. Un dimanche, il commet une erreur et arrive en retard pour le lever de rideau, il rentre précipitamment en scène et joue sans perruque. Son père le met à l’amende. La punition est simple : son cachet sera divisé par deux. Sacha s’excuse, mais refuse la punition. « C’est à prendre ou à laisser », dit Lucien. « Eh bien je laisse, adieu », répond Sacha. La brouille durera treize années.
Il faudra attendre 1918 pour que la réconciliation ait lieu. Sacha est devenu entre temps un auteur à succès. Son père lui écrit : « Ta pièce est un chef d’œuvre et tu es admirable. Je t’attends à déjeuner demain ». Il tombe dans les bras l’un de l’autre. Et rien ne pourra plus les séparer : « Depuis le 8 mars jusqu’à la mort de mon père, nous ne restions pas six heures sans nous téléphoner, douze heures sans nous voir et vingt-quatre heures sans nous écrire ».
L’exposition présentée par la Cinémathèque de Paris montre toutes les innombrables facettes de Guitry, comédien, écrivain, cinéaste, publicitaire, chanteur, un incroyable homme orchestre qui sait tout faire ou presque. Elle met lumière la gaité des années folles, le temps qui s’écoule dans une succession de fêtes, de chansons, de pique-niques, de sorties, etc. Guitry et ses amis s’amusent et pourtant Sacha le boulimique travaille, mais avec une apparente légèreté. En 1933, dans un opéra, il fait chanter à la France entière : « Amusez-vous, faites les fous, la vie passera comme un rêve. Amusez-vous, foutez-vous d’tout, la vie est si courte après tout ». Guitry a écrit, interprété et réalisé dix sept films et plus de soixante pièces de théâtre. Il aura été détesté par les uns et adoré par les autres. Et comme il le dit lui-même : « Et pour tout dire en vérité, je ne rêvais que d’épater l’adorable auteur de mes jours ».
A lire :
« Sacha Guitry » par Olivier Barrot et Raymond Chirat 13,50 euros chez Découvertes Gallimard
« Sacha Guitry, une vie d’artiste » 288 pages et 250 illustrations, 45 euros chez Gallimard
Coffret de 9 films – 8 DVD : Le Nouveau testament (1936) – Le Roman d’un tricheur (1936) – Mon Père avait raison (1936) – Faisons un rêve (1936) – Le Mot de Cambronne (1937) – Les Perles de la couronne (1937) – Désiré (1937) – Quadrille (1938) et Remontons les Champs-Elysées (1938) ainsi que des documents d’archives et des entretiens inédits. Sacha Guitry cinéaste. L’âge d’or 1936 – 1938 chez Gaumont Vidéo