Comment les stylistes distinguent-ils les nouvelles tendances ?
« Il ne s’agit pas d’avoir la vision laser de Superman, confie Sébastien de Diesbach. Notre métier consiste à radiographier la société, puis à déterminer parmi de multiples informations ce qui au départ n’est généralement qu’un murmure et deviendra très probablement une vague. Dernière étape, traduire ces données dans le domaine de la mode. Par ailleurs, je suis totalement d’accord avec Christian Lacroix qui a dit : « La mode ce n’est pas de l’art, mais plutôt quelque chose de concret et de pratique » et je rajouterais que c’est avant tout une industrie.
Les tendances sont-elles des phénomènes de masse ?
Pour comprendre ces phénomènes de masse, il suffit de prendre un exemple avec la couleur noire qui a dominé les années 90. L’explication de cette suprématie est simple et décevra peut-être tous ceux qui s’attendent à une interprétation beaucoup plus sophistiquée. Quand un maximum de gens pense la même chose, le système en question s’impose à l’ensemble de la société. Il s’agit tout simplement de démocratie. La mode ne déroge pas à cette loi. Dans les années 90, il y a eu la conjonction d’au moins deux sentiments : un certain désespoir, avec une maladie comme le Sida qui ne donnait pas franchement envie de s’amuser, et le refus de se singulariser.
Alors, quoi de plus facile et de plus évident que de se glisser dans des vêtements foncés, chemise, veste, pantalon, chaussures etc. Sans oublier une notion très importante l’arrivée en force de l’élitisme qui offrait aux gens la possibilité de changer de statut social. On pouvait bien plus facilement, en enfilant un uniforme, franchir le pont qui jusqu’alors séparait les patrons des ouvriers. En l’occurrence, un costume noir, élégant et minimaliste. Les jeunes femmes qui postulaient pour le premier travail étaient toutes vêtues du même tailleur couleur passe muraille, assorties d’une paire de chaussures à talon quasi identiques.
Les tendances sont-elles liées aux classes sociales ?
Aujourd’hui la lutte des classes a pratiquement disparu. Il y a une cinquantaine d’années, les typologies étaient beaucoup plus marquées. Dans un autobus des années 60, c’était facile de différencier un bourgeois, d’un ouvrier ou d’un employé. Chacun avait des caractéristiques vestimentaires très particulières, qui étaient le symbole de sa condition. Le premier portait un manteau en cachemire ou un imperméable et un chapeau, le second avait un vêtement qui semblait toujours un peu médiocre, quant au dernier, il se trouvait beau avec un blouson en cuir et une casquette.
Aujourd’hui, tout le monde appartient à une vaste classe moyenne. Impossible de différencier le PDG d’une multinationale américaine du reste de ses employés. Comme toujours dans les phénomènes de société, il y a quelques esprits plus sensibles que d’autres. Poètes, peintres, musiciens etc. arrivent à percevoir ces phénomènes un petit peu avant les autres et l’expriment au travers de leurs œuvres. Les gens qui travaillent dans la mode ont eux aussi la capacité de sentir les courants ambiants légèrement en amont par rapport à l’ensemble de la société. Ils concrétisent le sentiment général, développant des thèmes qui reprennent les idées communes et mettant en forme des matières qui symbolisent l’époque. Tout simplement, parce que les forces qui agissent sur la plupart des gens sont à peu près identiques.
Dans les années 70, il ne fallait pas être très malin pour supposer que quand les jupes raccourcissaient, elles n’allaient pas tarder à rallonger et ainsi de suite. En 2008, ces détails-là ne comptent plus. Après les années noires, de l’épuration, de l’absence de couleur et de la musique techno dépourvus de sentimentalité, le contraire est évidemment l’appel à l’originalité et l’envie de se démarquer.
Quelles sont les actuelles tendances dominantes selon vous ?
Depuis les années 2000, les Hippies et les Trash chics sont de retour. Il faut impérativement conjuguer élégance et absence de banalité. Une « allure » bizarre originale et surprenante dans laquelle il faut mixer les couleurs est indispensable. Tous les créateurs interprètent cette gamme à leur manière. Mêmes les vêtements de ski sont à la fois techniques et singuliers. Par ailleurs, aujourd’hui, nous sommes dans une société où deux noms dominent tout : audace et singularité.
L’intrépidité est un phénomène vraiment frappant si l’on regarde le comportement physique des enfants dès cinq ans. Il est tout simplement incroyable, ils semblent mépriser totalement le danger. À l’autre bout de la chaîne, il n’est pas rare de se faire doubler dans les allées du bois de Boulogne par un monsieur de 80 ans en Roller. Les sports les plus dangereux sont pratiqués par tous, quel que soit l’âge ou la condition sociale.
De quelle manière cela influence-t-il la mode aujourd’hui ?
Excentricité rime avec choix, les gens veulent créer leur mode et suivre le précepte suivant : « Je suis une œuvre d’art dont l’auteur est moi-même ». Ils composent leur propre style et ne veulent plus suivre de modèle. Les exemples de cette nouvelle façon de faire sont nombreux et pas seulement dans le domaine du vêtement.
En politique, les instituts d’analyse d’opinion font de plus en plus d’erreurs pour prédire le résultat des élections. Une des raisons essentielle est que les gens se déterminent de plus en plus tard et change d’avis au dernier moment. A contrario, plus vous avez d’opinions diverses dans la société, plus vous avez de gens qui se lèvent et qui clament haut et fort : « Voilà quel est mon point de vue ».
Les marques rencontrent le même problème, celui de la fragmentation. Les bureaux de style doivent exprimer de plus en plus fortement leurs idées. Les clients doivent êtres convaincus par leur point de vue.
Désormais, il n’y a plus jamais de tendance massive, c’est la liberté qui domine. Les marques sont obligées de développer une identité forte. L’avenir semble mettre en vedette l’individualisme avec à la fois la jouissance et le confort moral et physique. Le plaisir explique le retour de la couleur, de la décoration et des motifs. Mais ce qui compte aujourd’hui c’est l’originalité, l’expression d’une différence. Pourtant désormais assis à une terrasse de café, on a du mal à repérer parmi les gens qui passent quatre styles particuliers et vraiment intéressants. Les gens font de moins en moins d’efforts pour s’habiller, ils vivent désormais sur le modèle américain du « Je mets n’importe quoi ».
L’aventure se déroule dans des domaines très différents, voyage, expérience musicale, expositions de peinture ou de photos etc. Le style a connu ses heures de gloire dans les années 60, 70, 80 durant lesquelles il fallait absolument s’affranchir du passé. Aujourd’hui la mode a pris à sens très différent qui s’apparente plutôt à de la création personnelle.
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